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Retour sur l'incidence de la réforme des destinations en droit de l'urbanisme


Par Maître Réda BEY, Notaire.

La notion de destination des constructions n'a pas de définition légale en droit de l'urbanisme. Elle est généralement définie par la doctrine comme ce pour quoi une construction « est faite et non ce pour quoi elle est effectivement utilisée » (Carpentier, Le changement de destination en droit de l'urbanisme : Droit et Ville n° 88, 2019, p. 137).

Il s'agit, en principe, de l'utilisation à laquelle une construction est destinée en fonction de ses caractéristiques propres, telles que ces caractéristiques résultent des travaux autorisés.

Historiquement, la notion de destination a été employée afin de réglementer l'utilisation des sols par les documents d'urbanisme, en soumettant certaines catégories de constructions à des règles spécifiques (par exemple : prévoir un nombre d'emplacements de stationnement différent pour les logements et les bureaux).

La notion a ensuite été utilisée pour contrôler le changement de destination. En l'absence d'un tel contrôle, les dispositions des documents d'urbanisme pouvaient être facilement contournées. Il suffisait de demander une autorisation d'urbanisme pour une destination déterminée, puis d'affecter les constructions à un usage différent après l'achèvement. Ceci d'autant que les travaux intérieurs sur constructions existantes sont, en principe, dispensés d'autorisation d'urbanisme.

Afin d'éviter un tel contournement, la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 portant réforme de l'urbanisme est venue soumettre le changement de destination des constructions à un contrôle administratif préalable.

Avant le 1er janvier 2016, la Code de l'urbanisme distinguait 9 destinations (ancien art. R.* 123-9 du code de l'urbanisme) : 
  1. Habitation ;
  2. Hébergement hôtelier ;
  3. Bureaux ;
  4. Commerce ;
  5. Artisanat ;
  6. Industrie ;
  7. Exploitation agricole ou forestière ;
  8. Entrepôt ;
  9. Constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif.
Le passage d'une destination à l'autre était soumis à déclaration préalable lorsqu'il ne s'accompagnait d'aucuns travaux, ou à permis de construire en cas de modification de la structure porteuse, de modification de la façade ou d'autres travaux eux-mêmes soumis à permis de construire.

Le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 est venu modifier ces règles. Ce décret distingue désormais 5 destinations principales (art. R. 151-27 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue du décret n° 2023-195 du 22 mars 2023) :

  1. Exploitation agricole et forestière ;
  2. Habitation ;
  3. Commerce et activités de service ;
  4. Équipements d'intérêt collectif et services publics ;
  5. Autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire. 
Chaque destination est ensuite subdivisée en plusieurs sous-destinations (art. R. 151-28 du code de l'urbanisme). Par exemple, la destination « commerce et activités de service » recouvre les sous-destinations suivantes :

  • Artisanat ; 
  • Commerce de détail ; 
  • Restauration ; 
  • Commerce de gros ;
  • Activités de services où s'effectue l'accueil d'une clientèle ; 
  • Cinéma ; 
  • Hôtels ; 
  • Autres hébergements touristiques.
La réforme opérée en 2015 apporte une simplification en matière de contrôle administratif du changement de destination : le passage d'une sous-destination à une autre au sein de la même destination n'est plus soumis à aucune autorisation ou non-opposition d'urbanisme, lorsqu'il ne s'accompagne pas d'une modification de la structure porteuse ou la façade, ni d'autres travaux soumis à permis de construire. Dans le cas contraire, le changement de destination ou de sous-destination demeure soumis à permis de construire comme avant la réforme (art. R. * 421-14, c du code de l'urbanisme). En revanche, même en l'absence de travaux, le passage d'une destination à une autre demeure soumis à déclaration préalable (art. R. * 421-17, b du code de l'urbanisme).

Ainsi par exemple, le passage d'une activité commerciale à une activité libérale avec accueil de clientèle ne nécessite plus aucune autorisation lorsqu'il s'accompagne uniquement de travaux intérieurs non soumis à permis de construire.

Le décret du 28 décembre 2015 est entré en vigueur le 1er janvier 2016 (décret n° 2015-1783 du 28 déc. 2015, art. 11).

Le décret de 2015 prévoit cependant que les anciennes destinations « restent applicables aux plans locaux d'urbanisme dont l'élaboration, la révision, la modification ou la mise en compatibilité a été engagée avant le 1er janvier 2016. » (décret n° 2015-1783 du 28 déc. 2015, art. 12, VI).

L'administration en déduisait que les changements de destination demeurent régis par le droit antérieur tant que le plan local d'urbanisme (PLU) n'avait pas été modifié à compter du 1er janvier 2016.

La Conseil d’État a condamné cette interprétation : le rapport d'application des nouvelles destinations et sous-destinations concerne uniquement l'élaboration du PLU. Il ne concerne pas le contrôle administratif du changement de destination. Les règles nouvelles sont bien applicables à tous les changements de destination intervenus à compter du 1er janvier 2016, même si PLU n'a pas été modifié depuis cette date (CE, 7 juil. 2022, Ville de Paris, n° 454789).

Image : moerschy de Pixabay

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